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Daniel Van de Velde - Artiste plasticien
En travaillant à la rédaction de ce dossier où il s’agit, entre autre, de dégager la cohérence d’une démarche artistique, j’ai réalisé que je m’affranchissais définitivement d’un grand nombre de dogmes qui, pour utiles qu’ils ont été dans ma formation, sont devenus au fil de mon parcours, des entraves. Ce travail aura donc eu un effet bénéfique et libérateur. Dans la présentation de ce dossier, en décrivant les œuvres qui jalonnent mon parcours, j’ai surtout insisté sur la dimension esthétique et anthropologique. Beaucoup moins sur la dimension technique, sauf quand celle-ci me semblait importante pour comprendre certains aspects de ma démarche.
C’était un pari un peu fou, à la fin des années 1980, de rester obstinément attaché à la sculpture ; surtout en me concentrant sur un seul médium : le bois avec des outils traditionnels pour un geste, vieux comme le monde : la taille. Sauf que, d’un point de vue esthétique, en évidant l’arbre, en le débarrassant d’une vision mécaniste du bois, en en faisant une trajectoire plutôt qu’un objet statique, je l’ai déterritorialisé.
Le physicien et philosophe Étienne Klein alors que je lui présentais une œuvre réalisée à partir d’un frêne foudroyé, que j’avais évidé en ne lui laissant que 2 cernes annuels de croissance a décrit ces deux cernes comme étant « 2 lignes cosmiques dans un espace/temps. »
En passant – 2018 – Pin Douglas – 90 x 85 x 410 cm.
Un processus de production
J’ai traversé la zone d’influence du forestier, je me suis arrêté au travail des bûcherons. Dans leur geste, abattre un arbre, j’ai immiscé le mien, l’évider. Là, en forêt, un tas de bois. Partant de ce tas, comme s’il s’agissait d’un puzzle, je reconstitue le tronc. Puis, sur la tranche de chaque bûche, je sélectionne de 3 à 10 cernes de croissance choisis dans le duramen (la partie ligneuse du bois). Ensuite je creuse, j’évide. Au final, il ne restera plus que les cernes de croissance sélectionnés. A la masse et à l’inertie, se substitue un vide qui révèle l’énergie nécessaire à la croissance de l’arbre sur un certain laps de temps.
« Il s’est mis avant la distinction homme-nature, avant tous les repérages que cette distinction conditionne. Il ne vit pas la nature comme nature mais comme processus de production. Il n’y a plus ni homme ni nature, mais uniquement processus qui produit l’un dans l’autre. » 1
1 – Gilles Deleuze Félix Guattari – L’anti-Oedipe – Les Éditions de Minuit. Page 8.
Le pin d’Alep la délaissée que le noir soulage – 2020 – 70 x 60 x 330 cm – Collection Domaine Bunan, Bandol.
Paramétrage communautaire d’une œuvre
Lorsque j’ai été invité à réaliser une œuvre dans le cadre de la Fête de Mai en Belgique, j’ai simplement indiqué aux organisateurs que je viendrais évider un tronc ayant succombé à une tempête, n’ayant jamais fait abattre d’arbre pour produire une œuvre. Je leur ai demandé de choisir l’arbre et le site où installer l’œuvre. C’est-à-dire que j’arrivais en Belgique sans savoir quel arbre j’allais travailler ni sur quel site l’œuvre serait installée.
Tout dans la réalisation de cette œuvre n’aura été qu’une affaire de confiance, de collaboration entre des organisateurs, des élus, les habitants de la communauté de commune de Gesves, un entrepreneur et un artiste.
Un forestier a été mandaté pour choisir l’arbre. Son choix s’est porté sur un pin rouge du Japon malmené par la tempête dévastatrice qui a touché tout le nord de l’Europe fin décembre 1999. J’ai évidé le tronc, au vu et au su de tous dans la cour d’une ferme de Gesves, occasionnant la participation du public et de nombreux échanges. La question de l’installation finale de l’œuvre restait en suspens jusqu’à la décision prise collectivement d’installer l’œuvre le long d’une route, en bordure de champs, au sommet d’une colline offrant une vue dégagée. Toute la question étant de savoir comment faire tenir l’œuvre en hauteur sans surcharger sa visibilité de tout un arsenal de poteaux et de câbles qui en réduirait l’impact esthéti
que. Comme ils n’arrivaient pas à se décider, je leur ai suggéré que l’œuvre (environ 10 mètres de haut) tienne inclinée à 12 degrés grâce à un astucieux système de tubage glissé à l’intérieur. J’ajoutais que si un ingénieur pouvait nous calculer cela, ce serait fantastique. Un homme s’avance et dit qu’il était en mesure de faire les calculs. Il était ingénieur de formation. Il prend les mesure de l’œuvre, qui presque achevée, était alignée au sol. 18 sections de bois de 50 cm de long, entièrement évidés, mis bout à bout, reconstituaient la forme initiale de l’arbre. L’ingénieur est revenu plus tard dans la journée en nous indiquant qu’il était tout à fait possible de faire tenir l’œuvre inclinée à 12 degrés en la maintenant avec des tubes d’acier insérés dans le tronc évidé. Le tout maintenu au sol par un mètre cube de béton coulé dans la terre. Les organisateurs ont indiqué qu’ils n’avaient pas les moyens de produire cette installation. L’ingénieur, qui est également entrepreneur, a alors dit qu’il prenait en charge toute la production et l’installation de l’œuvre C’est ainsi que Faîte de Mai a vu le jour.
Faite de Mai – 2001 - Pin rouge du Japon – 1100 x 45 x50 cm - Haltinne, Belgique.
Sans dimension fixe
Faîte de Mai est une sculpture qui implique des dimensions, des profondeurs et des distances que le regardeur ne peut pas dominer. C’est parce qu’il ne les domine pas qu’il éprouve une attirance. La sculpture inclut en soi le point de vue différentiel. Le regardeur fait partie de la sculpture qui se transforme et se déforme avec son point de vue.
Faite de Mai – 2001 - Pin rouge du Japon – 1100 x 45 x50 cm - Haltinne, Belgique.
A Capella - Projet pour une Chapelle – 2001.
En ce qui concerne la chapelle comme lieu d’exposition, j’ai fait un croquis d’une œuvre qui peut prendre place dans n’importe quelle chapelle puisque l’architecture de ce genre de bâtiment répond à des critères précis. Sur le dessin, 9 morceaux de troncs qui se répandent à travers l’espace. 6 en l’air, 3 fixés au sol. Les troncs segmentés en 4 et évidés se font face 3 par 3. A chaque fois, l’un partant du sol, l’autre d’un mur et le troisième du plafond (la forme d’une hélice à trois pales). Le diamètre et la longueur des tronçons sont à peu près identiques. La dimension finale de l’œuvre sera fonction du volume intérieur du bâtiment.
Le vide central, là où convergent tous les tronçons d’arbres segmentés et évidés, est à hauteur du regard. L’espacement entre chaque lot de tronçons (chaque « hélice ») est de 2 à 3 mètres. Le regardeur pourra aller d’un tronc à l’autre, errer à l’intérieur de l’œuvre. Le croquis ne présente la sculpture que sous un angle, celui par lequel on l’aborde lorsque l’on entre dans la chapelle. Il faut donc imaginer tous les autres angles de vues, traverser mentalement la sculpture dans tous les sens.
La répétition des formes en 3 mouvements identiques mais décalés fait que l’œuvre semble se dévisser dans l’espace.
A Capella – 2001 – Croquis préparatoire.
A Capella – 2001 – Chêne blanc – Chapelle St-Evarzec, Quimper.
Cela m’a toujours surpris que l’on puisse esquisser une sculpture sur une feuille de papier ou un écran d’ordinateur et que sa réalisation finale, concrète soit en accord avec ce qui est projeté. Une phrase de Daniel Buren dans son livre d’entretien avec Jérôme Sans (Au Sujet de… Entretien avec Jérôme Sans – Flammarion 1998) m’a beaucoup marqué : « On ne fait pas de l’art avec des idées, aussi bonnes soient-elles. » Une œuvre, surtout une sculpture, n’illustre pas, elle impulse un tempo, des résonances, une justesse de vue à partir de l’ensemble du territoire de l’art et des préoccupations contemporaines de l’artiste qui la laisse jaillir. Elle est une façon de penser à part entière.
A Cappella est une œuvre conçue de telle sorte que lorsque l’on entre dans la chapelle, on entre dans l’œuvre. A ceci près que la fonction de la chapelle, sa dimension religieuse, établit une hiérarchie dans le lieu là où l’œuvre rend l’espace partout égal à lui même.
A Capella – version 2005 – Chêne blanc – Abbaye Notre-Dame de Quincy, centre d’art de l’Yonne.
Héliocentrisme
Je m’oriente est une œuvre importante dans mon parcours parce qu’à partir de son installation dans le parc du manoir de Verderonne, j’ai eu l’intuition de la dimension solaire de l’arbre. Après avoir fait le vide dans les œuvres précédentes dans l’optique de débarrasser la sculpture des questions de masse, d’inertie, j’affrontais la question de la lumière. Évider un arbre en mettant à jour un certain nombre de cernes de croissance c’est rendre manifeste, éventer l’énergie nécessaire à la croissance d’un arbre sur un certain nombre d’années. Pour Je m’oriente par exemple, j’ai laissé 9 cernes annuels de croissance, de 1989 à 1998. C’est-à-dire 9 années de lumière fossilisée. J’ai hissé la sculpture en équilibre sur un mur selon un axe est/ouest. Le vide à l’intérieur de l’œuvre absorbe la course du soleil en mesurant le temps. Sur la 3ème photographie, le rayonnage à l’intérieur du fût évidé et segmenté indique qu’il est midi heure solaire. Chaque arbre, à sa façon, enracine la lumière du soleil sur terre. Rend celle-ci fertile et habitable.
« Et ce qui est intéressant dans les mouvements de la racine, c’est que d’un point de vue astronomique elles permettent via la plante au Soleil d’habiter la Terre, car elle transforme la lumière et l’énergie solaire et les insère dans la masse terrestre. La plante enracine le Soleil dans la Terre. »
Emmanuele Coccia – Extrait d’un entretien paru dans la revue Pour La Science. Octobre 2018.
Je m’oriente – 2002 - Sapin – 400 x 70 x 60 cm. Centre d’art de Verderonne.
Les aulnes
En lisière de forêt, quelques arbres que l’on vient d’abattre. Les troncs débités en tronçons de 1 mètre de long sont soigneusement empilés le long du chemin qui borde la forêt. Il s’agit d’aulnes. Ce tas de bois devient immédiatement pour moi un puzzle en 3 dimensions d’où peut ressurgir la forme initiale des troncs débités. J’ai retrouvé le propriétaire qui accepte de me vendre le tout. J’ai réussi à reconstituer 3 troncs. Tronçons aboutés, je me retrouve avec un tronc de 11 mètres, un autre de 9 mètres et le troisième de 7 mètres. Commencée en juillet 1998, l’œuvre sera achevée en mai 2003.
Au fur et à mesure de l’évidement, la sculpture se dessine. Le premier tronc évidé, je le pose au sol avec un espace de 6 cm entre chaque tronçon qui réajuste le tout dans la double résonance du vide et de la forme initiale de l’arbre : une ligne courbe segmentée, articulée qui s’étend sur 15 mètres (photo ci-contre). Il en ira de même pour les deux autres troncs qui pourront être installés en hauteur. (photo du haut)
Le tout forme une seule sculpture placée dans l’espace selon la configuration et les possibilités qu’offre le lieu. L’arbre ici n’a plus rien du totem, d’un « personnage » plus ou moins volumineux qui nous ferait face. Dans cette œuvre, les troncs sont un cheminement, une trajectoire. On n’est plus face à l’arbre, on le suit.
Les aulnes - 2003 - aulne, trois éléments. Aulne 1 (ci-dessous) 1500 x 40 x 30 cm - Aulne 2 (ci-dessus à l’arrière-plan (1000 x 35 x 30 cm) -
Aulne 3 (ci-dessus au premier plan) 780 x 40 x 30 cm.
Interférence
A ce jour, sous ce titre, j’ai réalisé 8 œuvres, numérotées de 1 à 8.
Pour celle montrée ci-contre, je suis parti de 5 branches de fusain, récupérées après élagage d’une haie par un jardinier. J’ai pris les branches et je les ai lancées dix fois en l’air. A chaque fois que les branches tombent au sol, je prends une photographie. Ensuite, je demande à une tierce personne de choisir la photographie qu’il préfère parmi les 10. J’installe au mur les branches selon leur disposition sur la photographie choisie.
Les photographies sont alignées sur le mur dans l’ordre où elles ont été prises. Les branches, creusées sur la partie visible sont installées à proximité de la photographie sélectionnée.
Selon la première définition du dictionnaire, une interférence est la superposition de deux phénomènes vibratoires de fréquences voisines et l’ effet qui en résulte. Interférence de deux gestes qui se superposent pour finaliser une œuvre.
Interférence 3 - 2004 - 5 branches de fusain entre 27 et 38 cm – 10 photographies (20 x 30 cm) tirées sur dibon. 100 x 390 cm. Collection particulière.
Interférence 3 - Détail - photographies 3, 4 (celle sélectionnée) et 8.
Interférence 6 - 2020 - 5 branches de laurier de 40 à 60 cm – 10 photographies (16 x 21 cm) tirées sur dibon - 90 x 225 cm.
Interférence 5 - 2020 - 5 branches de laurier de 47 à t70 cm – 8 photographies (16 x 21 cm) tirées sur dibon - 90 x 180 cm.
Interférence 4 - 2005 - 5 branches de noisetier de 27 à 43 cm – 10 photographies (20 x 30 cm) tirées sur dibon. 100 x 400 cm.
D’évidence
4 troncs segmentés et évidés sont suspendus aux 4 angles d’une structure en aluminium. Les troncs, dépouillés de leur masse et de leur inertie naturelles tournent lentement sur eux-mêmes en convergeant vers le centre de l’œuvre, grâce à des moteurs.
« Présence obsédante et pourtant légère, l’arbre, dans l’œuvre de Daniel van de Velde, semble s’être délesté de sa charge millénaire d’affects et de symboles, en même temps qu’il s’est vidé de sa substance. Ni totem, ni colonne – ou alors décollée du sol et tournoyante-, sa verticalité même remise en question, l’ « axe de l’univers » flotte désormais, affranchi de toutes les anciennes cosmogonies. Tantôt suspendu à des filins au-dessus d’un sentier, tantôt posé, presque négligemment, entre une fourche d’arbre et un mur de jardin, parfois traversant obliquement, en passe-muraille, les cloisons et les toits, il est toujours travaillé dans le scrupuleux respect de sa forme initiale et néanmoins, de façon paradoxale, à l’encontre de toute idée d’enracinement. D’objet aux « vertus intégrantes », selon Bachelard, rassemblant les éléments et les énergies naturelles, occupant toujours la même place, celle du centre, et garant de la stabilité du monde, le voilà dématérialisé, déterritorialisé, et d’une certaine façon, démystifié. »
Colette Garaud – Auteure et critique d’art
D’évidence - 2004 - 4 troncs (pin d’Alep et pin maritime), 4 moteurs, une structure en aluminium. 230 x 230 x 230 cm.
Ce poème en 3 parties, conçu comme un triptyque, est la répétition du mot montagne dans les 3 langues de la Suisse : l’italien, l’allemand et le français. Respectivement de gauche à droite. Le mot est répété le même nombre de fois dans les trois parties. Les lettres sont colorées, à partir d’un bleu modulé du plus sombre au plus clair au fur et à mesure où l’on s’approche du centre de chaque partie du poème au point que les mots dans ces zones ne sont plus ni visibles, ni lisibles. Leur disparition laisse place à un rayonnement lumineux.
Montagne – 2005 – impression numérique – dimensions variables selon support – Chandolin (Suisse)
Discerner– 2005 - Pin maritime – Chaque élément : 350 x 50 x 50 cm environ – Abbaye Notre-Dame de Quincy, centre d’art de l’Yonne.
Prendre part sans prendre appui
Lors d’une première visite à l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Quincy, j’ai constaté l’absence du cloître et de l’église sans ressentir de manque dans la perception globale du site. Le continuum espace/temps, de quintessence cosmique, intrique nature et société. J’ai pensé et réalisé Discerner comme une ébauche architecturale qui ne prend pas appui sur le site mais prend part à ce qui le caractérise. Une sculpture esquissée comme une silhouette atmosphérique.
C’est une œuvre à géométrie variable. Si l’on considère son volume global, c’est avant tout du vide où des éléments issus du monde végétal interfèrent pour orienter le regard : 4 arbres sur pied, des marronniers et 4 troncs de pin maritime segmentés et évidés, liés le temps d’une exposition. Les troncs évidés, inclinés selon un angle approximatif de 30 degrés, sont installés de façon à donner l’impression de passer au travers des marronniers. En les prolongeant du regard, ils se rejoignent en un même point, en hauteur, approximativement au centre de l’œuvre. Le titre Discerner est à la fois un jeu de mots : les pins maritimes, après évidement, n’ont plus que 10 cernes de croissance, 10 années pour cerner du vide ; et discerner au sens de percevoir quelque chose qui se détache d’un environnement tout en étant intégré à celui-ci.
Discerner– 2005 - Pin maritime – Chaque élément : 350 x 50 x 50 cm environ - Abbaye Notre-Dame de Quincy, centre d’art de l’Yonne. Ci-dessus : vue d’ensemble. Ci-contre : détail.
Toute proportion gardée.
Un lieu d’exposition divisé en 3 espaces.
J’ai fait faire un trou dans les deux murs se faisant face. J’y ai glissé un tronc d’aulne évidé et segmenté en 10 tronçons de 50 cm, solidarisés par des tiges d’acier en ménageant un espace de 6 cm entre les 10 éléments. Où que l’on se trouve dans le centre d’art, il est impossible d’avoir une vision globale de l’extérieur de l’œuvre, de la saisir dans sa totalité.
La sculpture prend à la fois appui sur l’architecture et la traverse sans être assujettie aux proportions du lieu. Un tronc d’arbre segmenté et évidé, artefact hybride, garde ses propres proportions : celles que l’arbre a mises en place pour optimiser sa croissance. C’est, entre autres, ce que j’apprécie dans le fait de travailler les arbres. Ce sont eux qui donnent la mesure des œuvres. Je ne me pose pas la question des échelles, des proportions, d’une projection possible dans l’espace parce que tout cela le tronc le contient déjà. La sculpture n’est ni image, ni illustration, ni abstraction. Elle est un fragment de l’univers qui fait irruption dans le monde de l’art en gardant ses caractéristiques physiques et biologiques.
Passe-muraille – 2005 – Aulne– 550 x 65 x 50 cm. Centre d’art Passages – Troyes.
Collection particulière.
Lorsque le regard se glisse à l’intérieur de l’œuvre qui traverse les trois salles (voir page précédente), le découpage architectural de l’espace s’annule au profit d’un point indéterminé visible à l’autre bout de l’œuvre. Pour autant le tronc, segmenté et évidé, n’a rien d’un télescope qui servirait de rampe de lancement au regard et s’annulerait au profit de ce qu’il y a à voir au loin à l’autre bout. Du fait de l’espacement entre chaque tronçon, la lumière arrive à l’intérieur du fût en une spirale inversée qui alimente continuellement le regard où que les yeux se posent. Façon pour moi de mettre à nu la dimension cosmique de notre regard. Voir devient alors un acte de reconnexion avec l’univers.
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Passe-muraille – 2005 – Aulne– 550 x 65 x 50 cm. Centre d’art Passages – Troyes.
Collection particulière.
Trajectoire, juste mesure et art monumental
Concernant certaines de mes installations, je ne parle pas d’art monumental. Je travaille à partir du volume et de la longueur que me proposent les arbres et les branches que je récupère. Ils ont une échelle « naturelle » qui correspond à un volume de croissance sur un temps déterminé.
Si l’on veut d’un monde où humains, non humains et « quasi-objets » 1 coexistent, il faut alors trouver de nouvelles échelles de mesure. Quand je réalise une installation en extérieur, je suis plus dans l’optique que le tronc segmenté et évidé apparaisse comme une trajectoire dans le champ de vision du regardeur que comme quelque chose de monumental. Lorsque le regardeur se trouve face à la sculpture au point de voir à l’intérieur, celle-ci devient un vide contenu qui absorbe son regard.
1 – La notion de quasi-objets développée par Bruno Latour dans son livre Nous n’avons jamais été modernes, Éditions La Découverte.
Engranger – 2005 - Pin maritime – 50 x 45 x 640 cm - Abbaye Notre-Dame de Quincy, centre d’art de l’Yonne.
Entrer en scène
On peut s’asseoir ? a été conçue pour une compagnie de danse. Le chorégraphe travaillait sur un spectacle avec 5 danseurs. Il voulait placer une sculpture sur la scène. J’ai demandé aux danseurs de se rendre sur une zone d’élagage que j’avais repéré à proximité de leur lieu de répétition. Ils m’en ont rapporté des branches en chêne plus longues les unes que les autres. J’ai creusé les branches ce qui leur conféra une grande souplesse. Je les ai solidarisées en positionnant à chaque angle un coussin maintenu par une tige en acier souple. La structure était suspendue à environ 60 cm du sol, retenue par des filins. A la moindre impulsion, la structure se mettait en mouvement dans tous les sens du fait de la souplesse et de la forme « capricieuse » des branches. Elle dansait littéralement. Je l’avais conçue à cet effet. Je voulais qu’à travers cette œuvre les matériaux naturels entrent dans la danse. Une collaboration
artistique où branches et êtres humains, le temps
d’une scénographie, ont la même « valeur » ontologique. Ce qui n’était pas du goût du chorégraphe qui voulait garder la mainmise sur sa chorégraphie. Peu importe, j’ai eu l’occasion de montrer cette œuvre dans un centre d’art, de la poser au milieu d’un étang, de la suspendre en hauteur entre deux allées de platanes. Je lui ai laissé vivre sa vie le temps que la question du partage des territoires entre humain et non-humain refasse surface sous une autre forme. J’avais rajouté aux branches des coussins pour que les spectateurs, tous assis qu’ils seraient, puissent se projeter mentalement assis sur scène entre les branches et les danseurs. Je lui ai donné finalement ce titre : On peut s’asseoir ? parce que lorsqu’elle a été exposée pour la première fois, cette question revenait comme un leitmotiv dans la bouche de la plupart des regardeurs.
On peut s’asseoir ? 2004 – 5 branches de chênes, 5 coussins. 80 x 550 x 630 cm.
Une brèche métaphysique, une trouée. Un évidement de soi.
D’abord un geste, la taille, qui acte l’évidement. Évidement d’un médium qui par réverbération devient évidement de soi. Sculpter prend alors une dimension existentielle qui « vise une réintégration performative d’une conscience essentiellement synthétique à un cosmos qui s’unifie sans relâche »1. Ce n’est plus la res extensa « imaginée »2 par Descartes, modulable à l’infini par une res cogitans. « « Il » prend la place de « je » et s’autodétermine, au sein de « l’expérience pure » que la réalité réalise avec elle-même à travers « notre » expérience des « choses ». » 3
Dès lors, sculpter c’est, pour reprendre les mots de Tim Ingold (Faire, anthropologie, archéologie, art et architecture) « suivre le matériau pour se laisser guider là où il nous mène », « se laisser instruire par le monde »
1 - Michel Dalissier à propos de Nishida Kitarô dans Philosophie japonaise, le néant, le monde, le corps. Page 249.
2 - Bruno Latour – Cogitamus six lettres sur les humanités scientifiques – notamment page 142. « Dans ce qui reste le plus étonnant « roman de la matière » jamais écrit, Descartes, seul dans son poêle (ce qui veut dire, vous le savez, relié à toute la communauté expérimentale européenne de son temps), va imaginer – je dis bien imaginer – la res extensa telle que la res cogitans parvient à la penser – oui à la penser. Notez le bien, il s’agit de l’idée de la res extansa, puisque, malgré le petit mot res, ce n’est pas une chose, un domaine de la réalité, mais bel et bien une idée, et même une idée produite par « cette folle du logis » qu’est l’imagination. »
3 - Michel Dalissier – opus cite. Page 249.
Japanese Red Pine – 2006 – Pin rouge du Japon – 550 x 55 x 60 cm. Kamiyama (Japon)
Collection Kair Kamiyama museum.
Japanese Red Pine est une œuvre réalisée en forêt sur l’île de Shikoku au Japon à proximité de la ville de Kamiyama où elle est installée depuis novembre 2006. Partant d’un arbre abattu, j’ai reconstitué le tronc, débité en 10 tronçons de 50 cm environ. Sur les deux tranches de chaque tronçon, j’ai mis à jour 5 cernes annuels de croissance, Ces cernes correspondent à l’énergie nécessaire à la croissance de l’arbre sur 5 ans. 5 années de lumière fossilisée, de 1998 à 2003, puisque l’arbre est le seul organisme vivant capable de se fossiliser partiellement pour continuer à croître en sollicitant un minimum d’énergie ( voir les travaux des biologistes Francis Hallé et Stefano Mancuso). Quelque chose a eu lieu dans le passé qui reste comme tel physiquement
présent dans l’œuvre : un volume de lumière fossilisée qui prend forme à travers le vide. L’artefact n’est plus ce qui oppose nature et culture mais ce qui les lie. Qui les réconcilie. Ce n’est donc pas une vision traditionnelle, industrielle du bois, envisagé comme de la matière dont nous disposerions éternellement. A la finitude de la vie sur terre, finitude des matériaux à l’ère de l’anthropocène, répond une nouvelle sollicitation esthétique qui singularise la matière, la rend unique en chacune de ses manifestations.
Japanese Red Pine – 2006 – Pin rouge du Japon – 550 x 55 x 60 cm. Kamiyama (Japon) Collection Kair Kamiyama museum.
Champs de force
Du raphia naturel marouflé sur toile de lin. Les champs de raphia sur l’île de Madagascar deviennent, après la récolte, champ de vision quelque part en Europe. L’œuvre se déploie à partir d’un point central qui oriente la courbe du raphia, la dimension des toiles de lin et l’espacement entre celle-ci.
Quand je réalise une œuvre, je tiens compte des pérégrinations marchandes des matériaux issus de la terre et je ne m’innocente pas des rapports sociaux qu’ils impliquent.
Visiblement – 2006 – raphia marouflé sur toile de lin, fixée au mur. Galerie Le Garage, Lorgues.
Acéphale
Des rondins de bois deviennent, le temps d’une œuvre, un puits de lumière qui entraîne le regard, au travers de deux espaces compartimentés, « dans une chute vertigineuse »1. Le regardeur mesure le vide autant qu’il est mesuré par ce vide que l’œuvre articule de manière organique. La sculpture nous regarde au même titre que dans la peinture de Jan Van Eyck, L’Homme au turban rouge : « le sujet fixe celui qui le regarde avec cette intensité dont Nicolas de Cues dira qu’elle ne lui permettait pas de s’en évader. », « Le portraituré ne cesse pas de regarder le regardeur »2 L’être humain est structuré pour le mouvement. Sa mobilité enclenche celle de ses yeux, ancrés dans un visage. Un rapport entre deux êtres humains implique un vis-à-vis modulé
par le visage. Un arbre est par nature immobile. Il lui arrive de bouger 3 mais il ne se déplace pas. Il n’a donc pas besoin de visage. Dans sa façon de capter ses congénères, la lumière du soleil, de prendre part à son environnement, il utilise un système de réseaux en ses parties souterraines, des émulsions chimiques dans sa partie atmosphérique et des capteurs solaires dans ses parties hautes. Il est relié à l’univers auquel la pensée scientifique « reconnaît simultanément des propriétés physiques et des propriétés sémantiques » (Carlos Rovelli).
1 – dixit Sabine Puget lors d’une présentation publique de cette œuvre qu’elle a acquise.
2 – Hors Bredekamp – théorie de l’acte d’image. Editions La Découverte. Page 72.
D’Horst Bredekamp, j’ai également lu Les coraux de Darwin, où l’auteur explique, illustrations à l’appui, que Darwin en abandonnant l’arbre de vie comme modèle de classification biologique, au profit des coraux en arrive à sa théorie de l’évolution. Comme quoi, une vision traditionnelle de l’arbre conduit souvent à des impasses. Ce même arbre généalogique que Deleuze trouvait fasciste, lui préférant ses fameux rhizomes (Mille Plateaux)
3 – Catherine Lenne, Olivier Bodeau et Bruno Moulia – Et pourtant elles bougent ! - article paru dans le hors-série de la revue Pour La Science : La révolution végétale, novembre-décembre 2018.
Sans titre – 2008 – pin parasol – 335 x 100 x 95 cm – Collection particulière, Fox-Amphoux.
Pas d’atelier.
Je n’ai pas d’atelier. Je n’en ai pas besoin. Cela ne correspond pas à ma vision de l’art d’accaparer un lieu pour en faire un atelier d’artiste en un temps où notre rapport au monde est faussé et où les déséquilibres sociaux et environnementaux sont monnaie courante. Je préfère le nomadisme qui consiste à aller d’un lieu à un autre avec un sac à dos rempli d’outils. De la ville de Beausoleil à une île en Grèce. D’une forêt au Japon à une abbaye en Bretagne. D’un domaine viticole dans le Var à une cour de ferme en Italie.
Sans titre– 2007 - Platane – 50 x 60 x 215 cm – Parc du château de Blacons – Galerie Arbre de Vie.
Je réalise ce genre d’installation ci-dessus, parce que l’arbre évidé et segmenté, devenu à sa façon « outil visuel »1, est dans un rapport de trajectoire à l’espace qui l’environne. L’immobiliser dans une posture traditionnelle en ferait un meuble. Pour autant je ne parle pas d’art in-situ simplement parce qu’à travers la question de l’arbre, on en arriverait au paradoxe d’une œuvre enracinée.
1 – terme employé par Daniel Buren pour qualifier ses fameuses bandes.
Sans titre– 2007 – Aulne – 550 x 65 x 50 cm – Parc du château de Blacons – Galerie Arbre de Vie.
Mon travail poétique est axé sur le temps. Ci-contre et pages suivantes, deux poèmes sur les jours de la semaine.
J’ai écrit celui ci-contre alors que j’étais adolescent. Le n’être finalement plus qu’un être pour être un autre être, sous forme de colonne sans commencement ni fin est ce qui, à force de le répéter, a déterminé ce besoin que j’ai eu de modifier ma trajectoire de vie pour devenir celui que je suis aujourd’hui. Les deux premiers jours de la semaine suffisent à décrire l’aliénation d’un temps subit quand nous ne sommes pas en accord avec ce qui conditionne notre existence. Ces deux strophes se laissent traverser par un besoin de métamorphose que conditionne la colonne sans commencement ni fin.
Sur les 3 pages suivantes : 27, 28 et 29, le second poème. Là encore une écriture en colonne. Le texte, ce sont les jours de la semaine. A partir de la seconde page, la seconde lettre de chaque jour est remplacée par un chiffre. Puis à partir du moment où celui-ci devient un nombre à deux chiffres, ce sont deux lettres qui sont remplacées. Et ainsi de suite. Tant et si bien que les nombres se substituent à la nomenclature répétitive du départ pour mettre à jour une relation vertigineuse au temps. La teinte, une variation du plus clair au plus sombre de la même tonalité de vert, oriente la vue, alimente le regard de vibrations lumineuses comme si le poème venait en prolongement du monde.
Des forêts en lambeaux
La tempête Klaus s’est abattue sur les Landes en janvier 2009. Des vents d’une rare violence. Résultat : Un paysage désolé, des gens meurtris. En juin de la même année, j’étais sollicité pour une intervention dans le cadre du festival d’Uzeste. J’ai intitulé mon intervention : Ne pas se laisser abattre. (voir texte ci-contre)
Depuis 1999 avec les tempêtes Lothar et Martin jusqu’aux crues de l’Argens en 2019, les ouragans, les canicules, les inondations, les feux de forêts ont fourni la matière première d’un grand nombre de mes sculptures qui de ce fait actent le dérèglement climatique. Et bien que je redonne forme à quelques arbres chus, je ne suis pas dans l’illusion de redonner vie à quoi que ce soit. Ma sculpture, de nature organique, acte simplement le fait que nous vivons sur et au travers d’un organisme vivant 1.
1 – James Lovelock, La terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa – Champs Flammarion.
« L’air, les océans, les glaciers, le climat, les sols, tout ce que nous avons rendu instable, interagit avec nous. Nous sommes entrés dans la géohistoire. C’est l’époque de l’anthro- pocène. Avec le risque d’une guerre de tous contre tous. L’ancienne nature disparaît et laisse la place à un être dont il est difficile de prévoir les manifestations. »
Bruno Latour, Face à Gaiä, huit conférences sur le dérèglement climatique. Éditions La Découverte.
« Daniel van de Velde aura réussi à rendre lisible, visible, intelligible ce qui sans la ruse de l'art aurait pu continuer à se taire, être tu, ne jamais paraître apparaître. Ce qui sans poésie serait sans doute imperceptible. Une manière d'être sans être. Une forme de présence prégnance fondée sur le silence en tant que clairière d'une absence. Une île pour un ex-nihilo, un rien sans fond à mi-chemin de l'un-tout et du tout-rien. Même pas peur du vide. »
Karine Vonna-Zurcher.
Sans titre – 2009 - Pin Sylvestre – 70 x 40 x 45 cm. Abbaye de Coat Malouen.
Sans titre – 2009 – Chêne vert – 65 x 60 x 450 cm. Abbaye de Coat Malouen.
Modulation de croissance – 2009 – 46 x 60 x 53 cm – Domaine de La Roche Jagu.
La forêt qui se cache dans l’arbre qui se cache dans la forêt (détail) - 2011 - médiathèque de Ste-Maxime.
La forêt qui se cache dans l’arbre qui se cache dans la forêt (détail) - 2011 - médiathèque de Ste-Maxime.
Des formes inédites de métaphysiques dans les interstices.
Au cours d’un échange avec le poète Philippe Jaffeux, j’ai employé le terme de métaphysiques interstitielles pour qualifier certains aspects de mon travail. Quand il m’a demandé ce que j’entendais par là, je lui ai répondu que mes sculptures, par le vide qu’elles contiennent et orientent sous forme de lumière fossilisée, deviennent des trajectoires physiques qui chacune ramène dans l’univers, la métaphysique que les grecs avaient située hors monde.
Prendre la Tangente – 2013 – Dimensions variables selon installation - Le tronc : 70 x 70 x 840 cm – Domaine du Rayol, jardin des Méditerranées.
Breaking the storm - 2014 - chêne vert – 60 x 50 x 390 cm.
For John Cage – 2014 – Pin maritime - 40 x 50 x 220 cm
For John Cage – 2014 – Pin maritime - 40 x 50 x 220 cm
Sans titre - 2014 – Bouleau – 25 x 35 x 310 cm - Collection du Château du Rouet.
Une projection du texte comme monde
Ceci n'est pas un livre. On pourrait même dire après coup que ceci est un
coup qui n'est pas sans rappeler celui générique de Matrix, le film. See What I
Mean ? Ceci est quelque chose comme une expérience sans précédent du
silence qui se présente comme un présent pour tout regardeur sachant lire et
écrire voire dire à l'ère du numérique.
Ceci n'est pas un livre. On pourrait même dire après tout que ceci est un
après coup. Quelque chose comme disait Roland Barthes comme l'exemple
d'une écriture dont la fonction n'est plus seulement de communiquer ou
d'exprimer mais de supposer la joyeuse possibilité d'un au-delà du langage,
d'une étrange outre-langue, d'une autre langue-étrangère.
Ceci n'est pas un livre. On pourrait même dire après mûre réflexion que ceci
se présente comme un laboratoire de formes en forme de fictions -melting
point... azote soufre hydrogène oxygène carbone... - dans lequel nous
l'auteur et le regardeur nous allons pouvoir aller jusqu'à essayer de tracer
quelque chose comme l'exquise esquisse d'un tas de dérives, hasards,
situations et autres configurations possibles de nos modes et méthodes
d'intervention, d'insurrection, de glissement progressif et durable de notre
statut-statu-quo de lecteur lambda à notre devenir effectivement acteur, au
même titre que l'auteur, de chacune des pages de cet ouvrage, ce travail,
cet opus dit de poésie chromatique.
Ceci n'est pas un livre. On pourrait juste dire oser dire après coup que ceci est réellement une projection du texte comme monde. Autrement dit une vraie
fiction,
parce que fiction c'est fingere, parce que fingere c'est faire, parce que
chacun peut faire de chaque page ce qu'il veut : une oeuvre aboutie ou
pas, une oeuvre définitivement inachevée ou pas, un produit fini ou pas, un
livre ou pas avec un commencement ou pas, une fin ou pas. Comme dit
Kostas Axelos, on pourrait juste penser que la pratique du numérique à
minima que Daniel van de Velde s'est autorisé amusé à explorer dans cet
ouvrage aura réussi à rendre lisible, visible, intelligible ce qui sans la ruse de
l'art aurait pu continuer à se taire, être tu, ne jamais paraître apparaître. Ce
qui sans poésie serait sans doute imperceptible. Une manière d'être sans être.
Une forme de présence prégnance fondée sur le silence en tant que clairière
d'une absence. Une île pour un ex-nihilo, un rien sans fond à mi-chemin de
l'un-tout et du tout-rien. Même pas peur du vide.
Karine Vonna Zürcher
Ceci, hommage à Joan Brossa – 2016 – 50 x 70 cm - tirage sur dibon et branches d’abricotier creusées.
Texte en français et en catalan.
Pin parasol incendié – 2016 – Pin parasol - 95 x 90 x 250 cm – collection particulière,
Roquebrune-sur-Argens.
Un regard contemporain 1
"Quand il ne se passe rien, il se passe quand-même quelque chose."
John Cage.
Il est tard. Il fait nuit. Je suis debout. Je suis dehors. Je marche. Il n’y a personne, pas même un aboiement. Je suis perdu en rase campagne. Très peu d’objets dans mon champ de vision. Le regard s’acclimate à la nuit, devient à son tour nocturne. Des vergers, des sentiers, une surabondance de champs. De l’autre côté de la colline, un entrecroisement de vallons, des forêts. C’est là-bas que je vais. Instinctivement, intuitivement. Presque mécaniquement.
J’y suis. La lisière est un taillis qui, une fois traversé, laisse place à une futaie. Je m’imprègne de l’indolence nocturne des arbres. Je retire mes chaussures. J’apprends pieds nus, à marcher précautionneusement puis de manière détachée. Pas de premier-plan, pas d’arrière-plan, un travelling nocturne sur une absence d’évènements. Je m’adosse à un arbre. Là j’attends les premières lueurs de l’aube, pour voir émerger de l’obscurité, les troncs, les branches et les feuilles. Je regarde. Un regard lent, protéiforme. Cela dure un temps indéterminé. Et dès qu’il fait jour, je rentre.
1 – ce titre fait référence au texte de Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ? Editions Rivage.. Les pages 19 à 23 sur l’obscurité… «percevoir cette obscurité n’est pas une forme d’inertie ou de passivité : cela suppose une activité et une capacité particulière ».
J’étais là avant toi – 2016 – Pin Douglas, peinture noire -Cap-d’ail .
Faire corps
Quand je sculpte, je fais corps avec ce que je fais, indissociable de l’environnement dans lequel je travaille. Tout redevient inconscient, indéterminé. Je n’ai pas besoin de penser, je ne me réfère à rien, je suis dans ce que je fais. Je n’invente pas, je n’imagine pas, j’évide, je mets à jour. Je génère du temps. Œuvrer c’est générer du temps.
Des branches – 2017 – pin maritime – dimensions variables.
Devenir arbre – 2017.
Le recours aux forêts
Je vais souvent en forêt. En forêt je me perds, je n’ai aucun sens de l’orientation. Je me perds mais c’est parce que j’aime ça. J’aime vivre en pure perte. Dans chacun des troncs que je creuse, c’est à la fois remonter le temps et disparaître dans la part de temps qui m’incombe. N’être sur terre qu’un passager clandestin qui libère des trajectoires pour les rendre disponibles. Les branches ont des trajectoires qui libèrent des lignes de pensées.
Welcome home (détail) – 2017 – chêne – 400 x 400 cm.
Welcome home – 2017 – chêne – 400 x 400 cm.
« Invalider le modèle hylémorphique. »
Tim Ingold
Deux fois 4 siècles
« C’est par une lecture de poésie que j’ai d’abord rencontré l’artiste, dans la pénombre balbutiante du jardin au bord de l’eau de Béatrice Machet… Il y disait un extrait de son livre, Les Transitions Narratives – 160 fragments regroupés en deux parties, alternant dans chacune d’elles chronologie et souvenirs par bribes arrachées aux brumes de la mémoire, tel celui-ci :
Une chaise sans fond m’attend au fond du bois. Je l’avais trouvée non loin de là et peut-être y est-elle encore aujourd’hui que je n’y suis plus. Je m’asseyais à califourchon, les coudes en appui, le dossier anuité. Peut-être je venais là pour attendre le bus mais je n’en suis pas très sûr. Plutôt goûter la déliquescente saveur de l’abandon, ce point d’orgue d’une dérive définitive qui tout absorbe sans cesse. Je devenais vieux. Plus vieux que le monde.
Des réflexions aussi, dont je retiens les deux fragments liminaires donnant la tonalité de l’oeuvre :
4 – Je vis pour que quelque chose en moi ne soit plus ma propre trace. Celle-ci vacille. Je vis pour que l’oubli redevienne la flamme d’une bougie. (phrase qui revient comme un leitmotiv tout au long du livre.
160 – Le retour ? Il n’y a pas de retour. Le point de départ ? Il n’y a pas de point de départ. Le lieu de naissance ? Il n’y a pas de lieu de naissance.
Les Transitions Narratives – 2018
Voixéditions (Richard Meier)
Les segments impairs, « chrono-illogiques », accompagnant ce parcours vers une aporie énoncent ce qui semble une autobiographie imaginée, au conditionnel dans la première partie, à l’imparfait dans la deuxième : « En 1965, j’avais un an. En 1966, j’avais 2 ans... », dates égrenées comme les années dans l’oeuvre de Roman Opalka, inscrivant noir sur blanc, infiniment, la trace de l’irréversibilité du temps. Mais dans le texte de Daniel Van de Velde, se prolongeant, en amont puis en aval, dans un improbable futur - « en 2363, j’aurais 399 ans... » ce qui rend bien incertain le locuteur se projetant ainsi à travers deux fois 4 siècles… tant qu’on ne connaît pas l’autre pratique artistique du poète qui est aussi « sculpteur d’arbre » dirais-je, récupérant ces géants tombés, les creusant pour les restituer à l’univers que troue leur disparition. »
Maryline Bertoncini - paru dans la revue en ligne Le Recours au Poème (extrait)
Du temps devant soi – 2018 – Colloque interdisciplinaire L’ère du temps - Université Nice Sophia-Antipolise / CNRS.
« Ton activité de poète et de sculpteur est très expérimentale. Avec elle, la face de la nature et de la quasi-nature (bâtiment historique par exemple) apparaît différente. Cela fait apparaître l’inconnu de la nature y compris celle de l’être humain. C’est-à-dire que tu es dans une apparition inconnue de la poésie. C’est pourquoi tu es un vrai poète. »
Shin Tanabe,
poète, éditeur de la revue Delta (Japon)
Danse avec les arbres (détail) – Eglise St-Merry, Paris, Nuit Blanche 2018.
Danse avec les arbres (détail) – Église St-Merry, Paris, Nuit Blanche 2018.
Danse avec les arbres (détail) – Église St-Merry, Paris, Nuit Blanche 2018.
Pour la Nuit Blanche 2018, 15 troncs segmentés et évidés ont investi l’église St-Merry. Personnages autonomes, sûrs de leur fait, ils étaient à égale distance de tout ce qui les environnait. Ils ne se sont pas laissés envahir par la majesté et les proportions du lieu, pas plus qu’ils ne l’ont nié. Les arbres sont apparus sur terre il y a 370 millions d’années. Tout en eux indique, par la force silencieuse qui conditionne leur présence qu’ils n’ont pas besoin, à pareille échelle de temps, de vie spirituelle. Une force démentielle les anime qu’on retrouve dans les œuvres ajourées.
« Qu’est-ce qu’une émotion ? Ce qui nous meut ou ce qui nous affecte. Notre univers modèle des forces puissantes et est modelé par elles. Dans le sens le plus concret, l’univers est la source de toutes les forces émotionnelles. »1
Comme ils sont venus, ces arbres sont repartis.
1 – Glenn Albrecht – Les émotions de la terre, des nouveaux mots pour un nouveau monde. Éditions Les Liens qui Libèrent.
Fréquences d’apparition
« Les Fréquences d’apparition, série de 10 poèmes visuels réalisés en 2014 lors d’une résidence artistique dans les Cévennes, sont des créations numériques présentées ici pour la première fois. Lors de ce séjour, l’artiste n’a de cesse de marcher, jour et nuit, pour se délester de ce qui conditionnait alors son existence. Les poèmes ont été rédigés lors de moments de pause plus méditatifs. Dans ces textes typographiés, l’écriture ne vient plus servir une volonté d’expression ni de communication, s’éloignant en cela de son rôle initial, mais devient formes visuelles dont la vibration poétique traduit une multiplicité de possible. »
Fabienne Fulchieri, directrice du Centre d’art concret de Mouans-Sartoux.
Daniel Van de Velde et Fabienne Fulchieri devant les Fréquences d’apparition, centre d’art concret de Mouans-Sartoux dans le cadre de l’exposition collective Bis repetita placent - 2019
"Ce qui fait trou dans l'homogénéité verbalisée de la communauté"
Un jour, Apelle se rendit dans l'atelier de Protogène et traça sur une toile une
ligne inframince. Le même jour, Protogène revint à son atelier, vit la ligne
d'Apelle et traça sur celle-ci une ligne encore plus inframince. L'écriture d'une histoire
de l'art imperceptible a commencé comme ça. Peut-être...
Un jour, Alhazen établit que la lumière du jour entrait dans l’œil via les objets
qui la réfléchissant la diffusaient. Un autre jour, il inventa la boîte noire.
L'écriture de l'histoire de l'optique a pu à partir de là changer d'optique et se refonder
sur le fait que toute image apparue par réflexion ou réfraction est un leurre qui nous
fait prendre du non-être pour de l'être...
Un jour, à Cerbère, à deux pas de Portbou, où repose dit-on un certain Walter Benjamin,
Daniel van de Velde a postérisé et collé çà-et-là dans l'espace
public cet énigmatique énoncé : n'être finalement plus qu'un être pour être
un autre être. Quelques jours avant, à Ille-sur-Têt, où le fantôme anarchiste
d'un certain Étienne Alart erre encore peut-être, Daniel van de Velde et moi
avions une conversation
autour de l'idée de la possibilité d'une approche povera du multimédia,
autour de l'hypothèse d'une poétique du numérique à minima, à partir de la
série dite fréquences d'apparition qu'il avait présenté dans le cadre de la
2ème biennale internationale de poésie visuelle. Son mode d'écriture en
mode à première vue
sur-exposé venait de bousculer l'horizon de mes certitudes sémiotiques. J'étais
de fait face à une œuvre sans aura dont le projet le propos était tout à la fois
de se produire, de s'effacer et de se reproduire...
Un jour, justement, dans son combat contre le parler faux, dans son À quoi
bon encore des poètes ?, Christian Prigent avait répondu comme suit à la
question de l'effacement de la poésie : "Ça n'a pas à disparaître, c'est
disparu. Je dirai même : c'est toujours-déjà-disparu. Mais cette propension à disparaître
de et dans l'usage social, cette façon d'incarner le disparu, de
formaliser ce qui disparaît - ce qui fait trou dans l'homogénéité verbalisée
de la communauté -, c'est la poésie : la poésie, ça n'est même peut-être
que ça, au fond."
Georges K. Zenove
Sans Détours c’est 4 troncs segmentés et évidés placés dans l’eau dans le sens du courant. Un 5ème tronc pareillement évidé est à la verticale. Cet ensemble de sculptures forme une seule œuvre le temps d’une manifestation. Plutôt que de les confronter aux endroits prisés de la ville d’Annecy, je les ai disposé dans le canal Notre-Dame. C’est l’accord entre l’eau et les troncs ajourés dans un espace en creux qui a vocation à réguler le niveau du lac, qui donne tout son sens à cet œuvre.
Sans Détours – 2020 – Annecy-paysages.
Pour une vue d’ensemble : https://vimeo.com/440929768
Sans titre 2020 – Érable – 90 x 120 x 900 cm – Galerie Ravaisou, Bandol.
Sans détours (détail) – Annecy-paysages 2020.
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